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Projet de loi PACTE

09/10/2018 17:50:47

catégorie : Actualités juridiques générales

Effets sur le droit des sociétés

Le projet de loi Pacte prévoit la création d’un registre dématérialisé des entreprises et d’un guichet unique électronique. Par ailleurs, il relève les seuils de certification légale des comptes et consacre la notion d’intérêt social.

L’heure de l’examen du projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), lancé en octobre 2017 et présenté en conseil des ministres le 18 juin dernier, a sonné ! Détaillant l’ensemble des mesures visant à relever le défi de la croissance et de la transition des entreprises, le projet de loi du 19 juin 2018, passé de 31 à 73 articles, contient pêle-mêle de nombreuses dispositions relatives aux entreprises (Projet de loi AN n° 1088, 19 juin 2018).

Le texte du projet, en son état actuel, est d’abord le résultat d’une méthode, celle du choix de la démocratie participative. Il est issu d’une première phase de consultation publique et fructueuse, puisqu’en 3 semaines 12 800 contributions ont été recueillies. Le second temps, celui de l’élaboration de la loi, est plus fermé puisqu’une partie de loi sera prise par ordonnances dans des délais à géométrie variable à compter de la publication de la loi. Le choix du recours aux ordonnances pour le temps long s’explique par la volonté d’ordonner et de rationaliser.

Passé au crible du Conseil d’État (CE, avis, 14 juin 2018, nos 394.599 et 395.021) et soumis ce mois-ci à l’examen de l’Assemblée nationale, le texte contient des mesures multiples en direction des entreprises et des sociétés destinées à les libérer et à repenser leur place dans la société.

Libérer les entreprises des formalités et des coûts

Ce qui domine à la lecture du projet de loi est une volonté de libérer les entreprises des formalités et des coûts générés par les obligations légales et réglementaires instituées au fil du temps.

   Créer un registre dématérialisé des entreprises

Est prévue, par voie d’ordonnance prise dans un délai de 2 ans, la création d’un registre dématérialisé des entreprises destiné à centraliser et diffuser les informations les concernant, simplifier les obligations déclaratives et les modalités de contrôle des informations déclarées (Projet de loi, art. 2).

Remarque : ce registre n’ayant pas vocation à se substituer à l’ensemble des registres et répertoires existants, le Conseil d’État estime que l’appellation « registre unique » initialement proposée par le gouvernement est trop ambiguë pour être maintenue. Il y substitue celle de « registre général » (CE, avis, 14 juin 2018, précité).

   Substituer aux différents réseaux de CFE un guichet unique électronique

Actuellement, il existe 1 400 centres de formalités des entreprises (CFE), sans compter les sites informatiques (www.infogreffe.fr, www.lautoentrepreneur.fr etc.). Il peut donc être difficile pour les déclarants d’identifier le CFE dont ils relèvent. C’est pourquoi le projet de loi Pacte prévoit de substituer aux différents réseaux de CFE un guichet unique électronique, avec une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2021 (Projet de loi, art. 1er).

Remarque : selon le CNGTC, la profession a depuis plus de 15 ans mis à la disposition des entrepreneurs un outil, largement utilisé, permettant de procéder à leurs formalités de manière dématérialisée (www.infogreffe.fr). C’est la raison pour laquelle la profession a proposé, dans le cadre du guichet unique dématérialisé, de mettre à disposition son outil qui permettra aux entrepreneurs de bénéficier d’un système fiable, sécurisé et reconnu par tous. Le Conseil national a attiré l’attention des pouvoirs publics sur le fait que la création de ce guichet unique ne doit pas pour autant priver les entrepreneurs de l’accueil physique dont ils bénéficient au quotidien dans les 134 greffes, ne serait-ce que pour pallier la fracture numérique au sein des territoires.

   Moderniser, simplifier et baisser les coûts des annonces légales

Le projet de loi modifie la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955, concernant les annonces judiciaires et légales, afin d’ouvrir aux services de presse en ligne, au sens de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986, portant réforme du régime juridique de la presse, l’habilitation à publier des annonces judiciaires et légales, actuellement réservée aux publications de presse (Projet de loi, art. 3). Il maintient la condition d’inscription à la commission paritaire des publications et agences de presse et remplace la condition imposant aux journaux de ne pas consacrer plus des deux tiers de leur surface à la publicité, par une condition tenant à ce que la publication de presse ou le service de presse en ligne n’ait pas pour objet principal la diffusion de messages publicitaires ou d’annonces. Un décret devra préciser les conditions dans lesquelles cette condition sera appréciée (L. n° 55-4, 4 janv. 1955, art. 2, mod.).

 

 

 

Le projet de loi ouvre aux ministres chargés de la communication et de l’économie la possibilité de fixer un tarif forfaitaire pour certaines catégories d’annonces, alors qu’aujourd’hui le tarif est fixé à la ligne. Il prévoit, par ailleurs, un tarif d’annonce commun aux publications de presse et aux services de presse en ligne.

Remarque : le Conseil d’État n’y voit pas d’obstacle dès lors que le projet de loi précise que ce tarif intègre progressivement les économies rendues possibles par la numérisation (CE, avis, 14 juin 2018, précité).

   Supprimer l’obligation d’ouvrir un compte bancaire pour les micro-entrepreneurs en début d’activité

L’article L. 133-6-8-1 du code de la sécurité sociale oblige les micro-entrepreneurs à ouvrir, au plus tard 12 mois après la déclaration de la création de l’entreprise, un compte bancaire pour l’exercice de l’ensemble des transactions financières liées à leur activité professionnelle. Le projet supprime une telle obligation à destination des micro-entrepreneurs dégageant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 000 euros (Projet de loi, art. 12). Il prévoit également que l’obligation ne s’appliquera qu’après dépassement de ce seuil pendant deux années civiles consécutives.

Remarque : le Conseil d’État relève que l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié n’est actuellement pas sanctionnée et qu’une grande partie des micro-entrepreneurs semble en ignorer l’existence et ne s’est pas conformée à cette obligation. Il juge que dans ces conditions, il pourrait être envisagé de la supprimer.

   Radier des fichiers, registres et répertoires les entrepreneurs individuels en cessation d’activité

L’article L. 613-4 du code de la sécurité sociale pose, en l’absence de chiffre d’affaires ou de recettes ou de déclaration de chiffre d’affaires ou revenus au terme de deux années civiles consécutives, une présomption de cessation de l’activité à l’endroit du travailleur indépendant, de sorte que, sauf opposition de sa part, celui-ci est réputé ne plus exercer d’activité professionnelle justifiant sa radiation par l’organisme de sécurité sociale concerné.

Toutefois, cette radiation n’entraîne pas pour l’heure celle des autres immatriculations ou déclarations, requises notamment par le code du commerce (pour un commerçant ou artisan, par exemple assujetti à une immatriculation obligatoire), puisqu’actuellement la loi requiert qu’une simple information soit adressée par l’organisme de sécurité sociale aux autres administrations et institutions intéressées.

A cette fin, le projet de loi prévoit qu’une telle radiation emporte de plein droit la radiation des fichiers, registres ou répertoires tenus par les autres organismes destinataires des informations relatives à la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel en application du nouvel article L. 123-33 du code de commerce proposé (Projet de loi, art. 11).

   Relever les seuils de certification légale des comptes

En vue de se mettre en conformité avec la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le projet de loi relève les seuils à partir desquels une société commerciale est soumise à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes (CAC), lesquels seraient fixés par décret : 4 millions d’euros de bilan, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 salariés.

Seuls certains groupements sont soumis à un contrôle légal des comptes (C. com., art. L. 612-1 et L. 612-4), parmi lesquels les sociétés commerciales selon des modalités différentes. Ainsi, les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions sont tenues de désigner un CAC dans tous les cas (C. com., art. L. 225-7 et L. 226-6). A la différence, les autres formes de sociétés commerciales ne sont tenues à cette obligation que lorsqu’elles dépassent une certaine taille. Parmi celles-ci, les sociétés par actions simplifiées (SAS) sont soumises à des seuils plus bas (C. com., art. L. 227-1) que les sociétés en nom collectif ou sociétés en commandite simple pour la désignation d’un CAC (actuellement fixés à 1 550 000 euros de total de bilan, 3 100 000 euros de chiffre d’affaires HT et 50 salariés) tandis que la présence de ce dernier est obligatoire dans une SAS dès lors que la société est liée à une autre par un lien de contrôle (C. com., art. L. 227-9-1).

Le projet prévoit une harmonisation des conditions de nomination des CAC resserrées autour du franchissement par la société ou par le groupe de deux des trois seuils fixés pour éviter qu’un groupe n’échappe à toute obligation de certification des comptes par une structuration en plusieurs entités de petite taille. Il en règle les conséquences. D’une part, il modifie l’article L. 226-6 du code de commerce en indiquant que l’assemblée « peut » désigner un ou plusieurs CAC, cette désignation devenant obligatoire en cas de dépassement de deux des trois seuils prévus en la matière. D’autre part, il supprime la phrase de l’article L. 225-7, alinéa 2 du code de commerce selon laquelle l’assemblée générale « désigne un ou plusieurs commissaires aux comptes » et procède à une modification de l’article L. 225-228 du code de commerce afin de préciser que les SA sont tenues de désigner un ou plusieurs CAC en cas de dépassement de deux des trois seuils prévus en la matière ou à la demande d’un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 10 % du capital social. Enfin, il supprime le cas spécifique de désignation des CAC dans les SAS (Projet de loi, art. 9). Par ailleurs, le projet

 

 

règle la question de l’application dans le temps de ces nouvelles règles ce qui n’avait pas été prévu par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie dite « LME » en son temps en précisant que les mandats en cours se poursuivront jusqu’à leur échéance.

Remarque : le projet de loi réduit l’efficacité du dispositif de prévention des entreprises en difficulté dès lors que le CAC dispose d’une obligation d’alerte, laquelle s’est vue renforcée depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (C. com., art. L. 234-1, L. 234-2 et L. 612-3). Il faut cependant considérer que la libéralisation initiée est encadrée par l’article L. 823-12-1 du code de commerce qui prévoit toujours que les CAC appliquent « une norme d’exercice professionnel » spécifique dans les SNC, les SCS, les SARL et les SAS qui ne dépassent pas certains seuils. Il reste au Haut conseil du commissariat aux comptes à définir, dans le cadre de sa compétence normative en matière d’exercice professionnel, les modalités selon lesquelles les CAC accompliront leur mission de certification des comptes des sociétés têtes de groupes.

Repenser la place des entreprises dans la société

Le projet de loi Pacte, qui se propose de réécrire l’article 1833 du code civil, puise sa source dans l’article 83 du projet de loi Macron devenu la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, objet d’un amendement rejeté, qui prévoyait déjà l’ajout d’un second alinéa à l’article 1833 du code civil selon lequel toute société « doit être gérée dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Le nouvel article 1833 proposé s’y apparente en consacrant l’intérêt social, revisité par la référence aux « enjeux sociaux et environnementaux ». L’article 1835, dans sa nouvelle version, introduit la faculté d’insérer « la raison d’être » de la société dans les statuts.

   Consacrer la notion d’intérêt social

Le nouvel article 1833 du code civil dispose : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (Projet de loi, art. 61). Ce faisant, il consacre la notion d’intérêt social, déjà bien connue du droit des sociétés et particulièrement utilisée par la jurisprudence pour encadrer l’action des dirigeants sociaux et définir la faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité des dirigeants à l’égard des associés ou de la société ou de justifier leur révocation.

L’intérêt social, visé dans la nouvelle lettre de l’article 1833 et intégré aux articles L. 225-35 et L. 225-64 du code de commerce, ne fait l’objet d’aucune définition alors que l’on sait que la notion fait l’objet de différentes acceptions : stricte, en se limitant à l’intérêt des associés, médiane en intégrant la personne morale sous l’angle de la pérennité de la société et à la continuité de son activité ou large, en s’étendant à celui des éventuelles parties prenantes (partenaires, États…). Le remplacement de la notion d’intérêt commun des associés par la référence à l’intérêt social, qui est « une notion floue » que chacun remplit à sa guise, n’est donc que de pure forme.

Par ailleurs, reste entière la question des sanctions qui pourraient frapper une société qui ne respecterait pas cette nouvelle règle. La nullité de la société n’est pas prévue puisqu’aucune modification de l’article 1844-10 du code civil n’est envisagée. La nullité des actes pris par les organes sociaux pourrait être avancée et prospérer dès lors que le nouvel alinéa de l’article 1833 du code civil s’analyse en une disposition impérative. C’est surtout en termes de responsabilité des dirigeants qu’il faut penser la règle. Mais, là encore, difficile pour les tiers d’engager la responsabilité personnelle des dirigeants, sauf à établir que la méconnaissance des enjeux environnementaux ou sociaux constitue une faute détachable de leurs fonctions (par exemple, en cas d’infraction pénale). Reste in fine la responsabilité dans les rapports internes, où là les dirigeants pourraient effectivement se voir reprocher par les associés ou actionnaires de ne pas avoir tenu compte dans les décisions prises ou actions entreprises des aspects sociaux et environnementaux.

   Insérer la raison d’être de la société dans les statuts

L’article 1835 du code civil prévoit en sa nouvelle version, si celle-ci est adoptée, que les statuts d’une société « peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité ». L’innovation est de taille car la notion de « raison d’être » qui fait son entrée dans le droit commun des sociétés est tout à fait inconnue de la matière. Par son emplacement, le texte a vocation à s’appliquer à toute société, quelle que soit sa forme juridique. Toutefois, ce n’est qu’une faculté que le texte réserve ici aux fondateurs ou aux associés souhaitant l’intégrer aux statuts par un vote en assemblée extraordinaire. Ici aussi, des interrogations demeurent.

La première est celle de l’articulation ou du positionnement de la notion avec d’autres notions plus connues du droit des sociétés. A l’évidence, la raison d’être n’a pas à se confondre ou à se substituer à celle d’objet social, par ailleurs consacrée dans d’autres textes du code civil et du code de commerce relatifs aux sociétés. L’objet social permet de définir et circonscrire l’activité de la société. La raison d’être a pour sa part vocation à éclairer sur les raisons de son existence et donc la finalité de celle-ci. Elle ne saurait se confondre non plus avec l’affectio societatis que l’on retrouve à un niveau infra, celui des associés.

 

La seconde est celle du rôle de cette notion, ce qui interroge sur la sanction de l’absence de mention par une société de sa raison d’être. Sans doute constituera-t-elle une boussole pour guider l’action des associés à l’instar de l’objet social qui lui sert de critère d’appréciation des actes des dirigeants, son dépassement étant susceptible d’engager leur responsabilité ou de justifier sa révocation, voire de justifier la nullité lorsque le contractant en avait connaissance (Cass. com., 14 févr. 2018, n° 16-16.013).

Reste à suivre si cette nouvelle exigence, qui participe du processus de transformation du modèle sociétaire, scellera le mariage entre société, social et environnement, en somme un Pacte pour l’avenir.

 

u         Projet de loi AN n° 1088, 19 juin 2018

 

Anne-Françoise Zattara-Gros,
Maître de conférences à l’université de La Réunion

Edith Dumont,
Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce